METTRE
DIEU AU CENTRE |
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L’importance
du rapport personnel avec Dieu |
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L’importance du rapport personnel avec Dieu A l’origine : une invitation totalement gratuite La voie du renouvellement : repartir de l’expérience de Dieu Apprendre et enseigner à prier Pour un christianisme heureux : l’espérance
L’importance du rapport personnel avec Dieu En lisant l’homélie et les discours que le Saint Père prononçait devant les évêques suisses en visite ad limina au mois de novembre 2006, il m’est venu à l’esprit l’épisode de la vocation de Moïse (Ex 3,7-12). Le Seigneur apparaît à Moïse dans le buisson ardent et lui exprime d’abord la raison de sa manifestation : « J’ai vu la misère de mon peuple… Je suis descendu pour le délivrer… ». Ensuite, à l’improviste, Dieu lance un ordre à Moïse, un ordre qui est sa vocation, comme s’il tirait une flèche qui n’admet aucune faille dans la poursuite de l’objectif : « Maintenant va ! Fais sortir d’Egypte mon peuple, les Israélites ! ». Moïse ressent toute sa pauvreté, perçoit combien une telle mission est disproportionnée et renvoie à Dieu le gémissement de sa fragilité : « Qui suis-je pour aller trouver pharaon et faire sortir d’Egypte les Israélites ? ». La vocation à laquelle Dieu l’appelle le met en crise jusqu’à la racine de son identité. Il n’élève pas vraiment d’objections par rapport à ce qui lui manque en forces et capacités, mais par rapport au sentiment de l’inconsistance de son « moi », de la petitesse de sa personne, de la misère de son identité : « Qui suis-je ? ». Pour accomplir la mission de libérer le peuple que Dieu veut lui confier, il ne lui manque pas seulement les moyens. C’est lui-même qui échoue, c’est sa propre personne qui est inadéquate et, dans un certain sens, n’est pas. Et voici que Dieu ne lui répond pas « Reste tranquille, tu possèdes les qualités requises, aie confiance en toi-même ! ». Il lui dit seulement : « Je serai avec toi ! » (Ex 3,12). C’est comme si Benoît XVI avait donné la même réponse aux évêques suisses réunis auprès de lui pour être confortés dans leur vocation et mission de pasteurs du peuple, d’un peuple du 21ème siècle toujours plus sujet, semble-t-il, à la perte de la liberté, qui renonce à la liberté de penser, agir et aimer avec vérité. Jésus Christ continue à envoyer ses apôtres et ses disciples vers l’homme d’aujourd’hui, rendu esclave de pouvoirs et d’idéologies bien plus insidieux que le pharaon d’Egypte ; et ceux qui sont envoyés ressentent de façon de plus en plus aiguë la confusion de Moïse, une confusion qui pénètre la conscience: « Qui suis-je ? Qui suis-je pour pouvoir accomplir cette mission ? ». Voici que Pierre, aujourd’hui encore, rappelle à ses frères, les
confirmant dans la foi, que la seule réponse à cette question apte
à consoler et donner la force est celle de Dieu lui-même : « Je
suis avec toi ! ». Une réponse qui, en Dieu fait homme,
mort pour nous et ressuscité, est devenue encore plus résolue et
engageante. Pareillement, la mission est devenue davantage universelle :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez
donc, de toutes les nations faites des disciples […]. Voici que je
suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde ! »
(Mt 28,18-20). C’est dans cette lumière que nous pouvons comprendre et surtout accueillir le rappel fort et insistant du Pape à la prière. « Il est important avant tout de soigner le rapport personnel avec Dieu, avec ce Dieu qui s’est montré à nous dans le Christ. » (Discours de clôture). Dans des situations et des temps où la mission de l’Eglise s’est faite plus difficile, où elle essuie plus d’hostilités et où émergent davantage les signes de la fragilité et de l’impuissance humaine, la tentation qui menace le chrétien, et souvent surtout les responsables du troupeau, est celle d’oublier la présence de Dieu, la présence du Ressuscité dont l’Eglise est signe et instrument. On oublie et néglige le fait que Dieu reste avec nous. On continue, oui, à se demander comme Moïse : « Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? », mais sans plus trop écouter la réponse consolante de Dieu : « Je suis avec toi ! ». Le Pape a voulu inciter nos évêques, et nous tous à travers eux, à écouter cette réponse de Dieu, essentielle, l’unique nécessaire dans la mesure où elle nous identifie, nous donne une identité. C’est la réponse permettant à l’homme de comprendre qui il est, quelle est sa nature et en quoi consiste le mystère de son cœur. C’est dans la seule mesure où il accueille de Dieu cette réponse à la question « Qui suis-je ? », que l’homme devient capable de dire « je », c’est-à-dire d’être quelqu’un, au cœur de sa vie et de la mission à accomplir d’après la vocation spécifique que Dieu lui donne. Il vaut la peine de mettre en exergue les points saillants du rappel du Saint Père à la prière et leur agencement.
A l’origine : une invitation totalement gratuite Il est utile de relire un passage de l’Evangile sur lequel le Pape
a prononcé son homélie en ouverture de la visite ad limina. Le premier aspect à souligner est que la prière, en tant que rapport personnel avec Dieu, est toujours une réponse à une initiative gratuite du Seigneur. Tout part de l’initiative de Dieu ; c’est Lui qui offre à l’homme Son désir de communion, d’amitié. C’est dans une totale gratuité que le maître fait inviter les riches et les pauvres. Aucun des invités n’a mérité cette invitation. Ils étaient en train de travailler dans leurs champs, ils faisaient du commerce, ils labouraient la terre avec leurs bœufs, s’entretenaient avec leur épouse ou mendiaient un bout de pain sur le bord de la route. Avec leurs membres estropiés, ils avançaient péniblement sur la route, étaient aveugles, peut-être en train de maudire la vie à cause de leur maladie et pauvreté, et voici que tombe sur eux une invitation inattendue. Le Seigneur, par son serviteur, leur dit : « Venez dîner avec moi, venez vivre avec moi un temps gratuit d’amitié, de communion ! ». Face à cette invitation inattendue et surprenante, l’avantage des pauvres et des malheureux par rapport aux riches et aux puissants est qu’ils n’ont rien à défendre face à la gratuité de l’invitation et ainsi, dans la condition où ils se trouvent, ils peuvent mieux que tous les autres mesurer la disproportion entre leur condition et la valeur de ce à quoi les invite le Seigneur. Cette gratuité de Dieu offrant à l’homme l’espace infini de son amitié n’échoue jamais. Même quand la salle que Dieu veut remplir d’invités reste vide, « Dieu n’échoue pas », dit le Pape, parce que « la salle vide devient une occasion d’appeler un plus grand nombre de personnes. L’amour de Dieu, l’invitation de Dieu s’élargit » (Homélie). Dieu ne ferme pas l’espace gratuit de la communion avec Lui. C’est pourquoi la prière comme rapport personnel avec le Seigneur est toujours possible, peut toujours être reprise et renouvelée. Mais cette gratuité met en évidence la vraie nature du refus de l’homme : le mépris de cette offre. Dans la parabole que le Pape a commentée, tous ceux qui refusent l’invitation au dîner mettent en avant des justifications liées à la vie quotidienne de tout homme: un champ, cinq paires de bœufs, un mariage, à savoir les biens qu’on a, le travail qu’on fait, les relations qui définissent une existence. Or, il faut noter que dans cette parabole il ne s’agit pas de l’appel à suivre le Seigneur en laissant son propre champ, son propre travail, sa propre famille pour recevoir le centuple et la vie éternelle. Ces personnes sont appelées à aller chez ce maître uniquement pour un dîner de fête. Mais alors, le champ acquis ne peut-il pas attendre quelques heures avant d’être vu ? Les bœufs ne peuvent-ils pas attendre un peu avant d’être essayés ? La jeune femme qu’on vient de prendre comme épouse ne peut-elle pas rester seule pendant quelques heures, alors qu’on a toute la vie conjugale devant soi ? Pourquoi ces personnes refusent-elles l’invitation ? Leurs excuses ne tiennent pas, aucune n’est urgente, aucune n’est vraiment une alternative au repas offert par le maître. La vraie raison du refus est le peu d’importance que ces invités attribuent à l’invitation et donc à l’homme qui les invite. S’ils n’ont pas peur de refuser, cela veut dire que ce seigneur n’a même pas de pouvoir, il n’est ni un roi ni un patron puissant. Nous comprenons que la seule raison valable pour accepter son invitation aurait été son amitié. Il n’invite au banquet qu’au nom de l’amitié et pour la faire croître. C’est donc son amitié que ces invités refusent, c’est son amitié qu’ils méprisent. Dans son homélie, le Pape remarque que ce mépris de l’amitié gratuite de Dieu est, au fond, la nature même du péché originel et donc le point à travers lequel Adam a laissé entrer le mal dans sa propre existence et dans toute l’histoire de l’humanité. « Adam […] n’était pas satisfait de l’amitié avec Dieu ; c’était trop peu pour lui, car lui-même voulait être un dieu. Il considéra l’amitié comme une dépendance et se crut un dieu, comme s’il pouvait exister uniquement par lui-même. » Ceux qui refusent l’invitation au banquet du Seigneur continuent à s’enfoncer dans cette logique absurde avec la prétention de ne pouvoir exister que par eux-mêmes, de ne pas avoir besoin de Dieu et de son amitié pour rendre leur vie de tous les jours plus humaine, plus belle, plus vraie et joyeuse. Les invités qui, pour des raisons futiles, refusent l’amitié de Dieu décrivent ainsi parfaitement l’homme d’aujourd’hui, l’homme de la société occidentale déchristianisée. Il ne s’agit plus tellement d’un refus raisonné et motivé par d’autres convictions religieuses ou philosophiques, mais plutôt de la perte du sens de la signification positive que le rapport avec Dieu donne à l’existence humaine. « Comment est-il possible – se demande Benoît XVI en s’inspirant de Saint Grégoire le Grand – qu’un homme dise ‘non’ à ce qu’il y a de plus grand ; qu’il n’ait pas de temps pour ce qui est plus important ; qu’il renferme en soi sa propre existence ? » La réponse du Pape, d’une certaine manière, excuse l’homme d’aujourd’hui et en décrit la pauvreté intérieure : « En réalité, les hommes n’ont jamais fait l’expérience de Dieu ; ils n’ont jamais ‘goûté’ à Dieu, ils n’ont jamais ressenti combien il est délicieux d’être ‘touché’ par Dieu ! Il leur manque ce ‘contact’ et, à travers cela, le ‘goût de Dieu’. » La misère de l’homme d’aujourd’hui consiste dans le refus de Dieu sans Le connaître. Les invités au banquet qui refusent l’invitation pour faire et vivre autre chose sont ainsi une parabole de notre société dans laquelle l’amitié offerte par le Seigneur ne touche plus la réalité de la vie quotidienne, ne touche pas ce que l’homme possède, son travail, sa vie affective et familiale. Cela ne regarde pas l’homme, dans le sens que celui-ci ne voit pas et ne croit pas que l’amitié avec le Seigneur peut avoir une influence positive sur la vie réelle, être une plénitude à goûter au sein de la réalité quotidienne pour la rendre plus humaine et joyeuse. Cette parabole décrit aussi la nature de la grande crise de la « chrétienté occidentale », de l’Eglise dans les pays européens et nord-américains, la grande crise qui a vidé les églises, a rendu formelle et stérile la vie de tant de paroisses, a laïcisé tant d’institutions éducatives, d’entraide et d’œuvres culturelles, que l’Eglise avait créées dans le passé et animées avec générosité. La crise ne consiste pas d’abord dans le fait qu’on pratique moins en nombre et qu’on fait moins pour l’Eglise. Cela en est une conséquence. La crise est due au fait que Jésus Christ n’est plus perçu comme quelqu’un qui sauve notre vie réelle, quotidienne. Et si les églises se vident, cela démontre peut-être que, quand elles étaient encore pleines, la crise était déjà présente, parce qu’on ne voyait déjà plus que la participation à la Messe, la sanctification du dimanche, la participation à certains gestes de l’Eglise, l’appartenance aux associations catholiques pouvaient être un facteur positif et avantageux pour la vie réelle des fidèles, pouvaient rendre la vie meilleure, plus intense, plus humaine, plus heureuse. Peut-être ces pratiques n’étaient-elles déjà plus vécues comme une expérience et un renouvellement de l’événement du Christ qui sauve la vie de l’homme ici et maintenant. Le Pape analyse cette situation, nous aide à la regarder avec vérité. Il nous la montre telle qu’elle est depuis ses racines : crise non pas de structures mais de foi et d’expérience intérieure, fragilisation de notre cœur. Une crise qui nous touche tous un tant soit peu. Un passage de l’homélie décrit l’essence de cette crise comme une sorte d’atrophie du cœur. Le cœur de la crise de l’homme contemporain est la crise de son cœur, du cœur humain comme capacité d’amitié avec Dieu. « Lorsque l’homme est occupé entièrement par son monde, par les choses matérielles, par ce qu’il peut faire, par tout ce qu’il peut réaliser pour connaître le succès, par tout ce qu’il peut produire ou comprendre, alors, sa capacité de perception à l’égard de Dieu s’affaiblit, l’organe qui perçoit Dieu dépérit, devient incapable de percevoir et insensible. Il ne perçoit plus le Divin, car l’organe correspondant en lui s’est desséché, il ne s’est plus développé. Lorsqu’il utilise trop les autres organes, ceux empiriques, alors, il peut advenir que précisément le sens de Dieu s’affaiblisse ; que cet organe meure ; et que l’homme, comme le dit Saint Grégoire, ne perçoive plus le regard de Dieu, le fait d’être regardé par Lui – cette chose précieuse qu’est son regard qui se pose sur moi ! » (Homélie) L’homme contemporain a presque perdu le goût de Dieu, et en perdant ce goût, il perd sa dimension la plus profonde, il perd son cœur, le cœur assoiffé de voir le Visage de Dieu, de fixer son regard dans le regard de Dieu.
La voie du renouvellement : repartir de l’expérience de Dieu Comment sortir de cette perturbation, dans laquelle l’homme semble s’auto-immuniser de l’expérience de Dieu qui seule peut renouveler le cœur et l’humanité ? Benoît XVI propose une voie au fond très simple, en se référant à un jugement qui ne censure pas la fragilité et le péché de l’homme : nous ne pouvons pas repartir de nous-mêmes, de ce que nous sommes ou faisons, de ce que nous pensons, de nos bonnes intentions et de nos sentiments. Nous devons repartir de Dieu et repartir de Dieu comme Lui repart toujours après chaque échec de son œuvre gratuite de salut. « Dieu n’échoue pas », nous annonce Benoît XVI. Il n’échoue pas parce qu’il recommence toujours à aimer l’homme. Il est nécessaire de repartir de Lui et de repartir comme Lui-même le fait. Repartir de Lui qui renouvelle, approfondit et dilate toujours à nouveau l’offre de son amour, de son amitié. Plus la gratuité divine s’exprime et se manifeste face au refus et au mépris de l’homme, plus l’homme est appelé à s’ouvrir gratuitement à cette gratuité de Dieu. La gratuité de l’homme face à la gratuité de Dieu demande de ne pas vouloir la mériter, de l’accueillir avec pauvreté, avec la conscience de sa propre misère. C’est pourquoi Dieu peut recommencer avec les cœurs pauvres. Il peut récupérer l’échec de ses invitations à la communion avec Lui. Dieu recommence par les plus miséreux parce qu’Il recommence toujours à partir de sa miséricorde et Il récupère tout avec elle. C’est en fait la miséricorde de Dieu qui n’échoue jamais. Celle qui s’est manifestée en sa totalité dans le Christ crucifié. En Lui, vraiment, le Dieu qui échoue à cause du refus des hommes vainc dans l’amour qui rachète : « Au moyen de la croix du Christ, Dieu s’est approché des hommes, il est sorti d’Israël et il est devenu le Dieu du monde. […] Le Dieu qui avait ‘échoué’, à présent, à travers son amour, conduit véritablement l’homme à s’agenouiller, et ainsi, vainc le monde par son amour. » (Homélie) La miséricorde de Dieu transforme ainsi le sens du vide créé par le refus de l’homme. « La salle vide devient une occasion d’appeler un plus grand nombre de personnes. L’amour de Dieu, l’invitation de Dieu s’élargit […] Il invite ceux qui ne possèdent rien, qui ont vraiment faim, qui ne peuvent pas l’inviter, qui ne peuvent rien lui donner. » (Homélie) Oui, répète le Pape, « Dieu n’échoue pas. Il ‘échoue’ continuellement, mais précisément pour cela, il n’échoue pas, car il en tire de nouvelles opportunités de miséricorde plus grande, et son imagination est inépuisable. Il n’échoue pas car il trouve toujours de nouveaux moyens d’atteindre les hommes et d’ouvrir davantage sa grande maison, afin qu’elle se remplisse complètement. Il n’échoue pas car il ne se soustrait pas à la perspective de solliciter les hommes afin qu’ils viennent s’asseoir à sa table, à prendre la nourriture des pauvres, dans laquelle est offert le don précieux, Dieu lui-même. Dieu n’échoue pas, pas même aujourd’hui. Même si nous entendons de nombreux ‘non’, nous pouvons en être certains. De toute cette histoire de Dieu, à partir d’Adam, nous pouvons en conclure : Il n’échoue pas. Aujourd’hui aussi, il trouvera de nouvelles voies pour appeler les hommes et il veut que nous soyons à ses côtés comme ses messagers et ses serviteurs. » On se plaint beaucoup de la situation dans nos Eglises. Le vide qui se crée attriste et déprime. Le Pape nous invite à lever le regard, à avoir un regard de foi et à nous rappeler du Seigneur et de la façon dont il a toujours agi. Nous sommes comme le peuple d’Israël dans le désert. Nous oublions les merveilles du Seigneur et, à cause de cela, nous ne repartons pas de la confiance en Lui. Nous nous embourbons dans la confiance en nous-mêmes et donc dans la déception. Benoît XVI, par contre, nous invite à regarder justement le vide qui nous déprime comme l’espace de l’espérance et à le vivre comme tel. Comment ? Avec la prière, en le remplissant de la relation avec Dieu, d’expérience de Dieu. N’est-ce pas justement ce qu’a toujours fait et vécu Jésus, constamment confronté au refus et à la fermeture des hommes, quand il priait dans le désert et dans la nuit, jusqu’au désert intérieur de Gethsémani et la nuit de la Croix ? Dès lors, toute la responsabilité et l’engagement de notre liberté, le Pape les concentre dans notre choix d’accepter une relation personnelle avec le Seigneur. C’est cela qui remplit nos salles vides. Comme pour nous dire que ce n’est pas avant tout le nombre de personnes qui détermine la vitalité de l’Eglise, mais l’accueil de la présence du Seigneur. Il nous semble réentendre Jésus quand il dit aux disciples : « Je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » (Mt 18,19-20). Oui, nous pouvons demeurer peu nombreux, très peu nombreux, le problème n’est pas le nombre, mais que ce petit reste demeure uni dans la prière, au nom de Jésus ; que le rapport personnel avec Dieu dans le Christ comble le vide, la pauvreté, la fragilité de nos communautés et de chacun de nous. L’insistance de Benoît XVI sur la prière vise essentiellement la « centralité » de Dieu comme « solution » toujours possible au mal de l’homme et du monde. Le Pape n’insiste pas sur une pratique, mais sur le rapport avec une Personne. En fait, quand le monde va mal, quand l’homme va mal, quand l’Eglise aussi semble en crise, ce qui nous manque n’est pas d’abord quelque chose et pas même un programme meilleur, mais Dieu lui-même : il nous manque le Seigneur ; il nous manque le Christ. L’activisme, aussi et surtout l’activisme ecclésiastique, est l’oubli de cela. « Nous aussi, nous courons un risque : on peut faire beaucoup, tant de choses, dans le domaine ecclésial, tout pour Dieu… et ce faisant, se tenir totalement à l’écart, sans jamais rencontrer Dieu. » (Homélie). Mettre Dieu au centre signifie avant tout cultiver et exprimer la conscience que Lui nous est indispensable, que sans Lui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15,15). Et c’est comme respirer cet air, que de prier ; c’est l’expression la plus adéquate à la seule réponse qui peut satisfaire notre besoin : la présence du Dieu vivant qui nous sauve. « Il s’agit de la place centrale de Dieu, – conclut le Saint Père dans son homélie – et précisément non pas d’un dieu quelconque, mais du Dieu qui a le visage de Jésus Christ. Cela est important aujourd’hui. Il y a tant de problèmes que l’on pourrait énumérer, mais qui – tous – ne peuvent être résolus si Dieu n’est pas placé au centre, si Dieu ne devient pas à nouveau visible dans le monde, s’il ne devient pas déterminant dans notre vie et s’il n’entre pas également à travers nous de façon déterminante dans le monde. C’est en cela, je pense, que se décide aujourd’hui le destin du monde dans cette situation dramatique : si Dieu – le Dieu de Jésus Christ – existe et est reconnu comme tel, ou s’il disparaît. Nous faisons en sorte qu’il soit présent. Que devrions-nous faire ? En ultime analyse ? Nous nous adressons à Lui ! » Apprendre et enseigner à prier Le Pape ne semble laisser aux évêques et à tous les fidèles qu’une consigne bien prioritaire : celle d’apprendre à prier. Apprendre à prier pour pouvoir enseigner à prier, pour transmettre, non certes des leçons de prière, mais l’expérience du rapport vivant avec le Seigneur, comme substance et plénitude du christianisme. C’est là, la grande insistance du discours de clôture de la visite ad limina. Le Pape rappelle qu’il ne faut pas disperser des énergies dans des discussions « sur de multiples détails moins importants » car ainsi, on entre dans le jeu de ceux qui veulent réduire l’Eglise à une institution tendant seulement à affirmer « certains commandements ou interdictions ». L’Eglise n’est pas dans le monde pour instaurer une morale voire une philosophie, mais pour incarner et annoncer l’évènement d’un Dieu qui s’est fait homme, est mort et ressuscité pour nous sauver et reste avec nous vivant, jusqu’à la fin du monde. C’est là, la grandeur de notre foi. La grandeur de la foi chrétienne est l’expérience de l’évènement du Christ ouverte à tous. C’est sur cette conviction que Benoît XVI fonde l’importance pastorale et missionnaire de l’expérience de la prière. Il ne s’agit pas d’abord de prier pour que l’événement chrétien s’affirme et se diffuse, mais pour en faire l’expérience personnelle, afin qu’il soit un événement dans notre vie. La mission de l’Eglise ne consiste pas, principalement, en quelque chose à faire, mais à être un sujet nouveau, un sujet impliqué dans l’évènement de Jésus Christ. Comment apprendre à prier ? On l’apprend comme l’on approfondit une relation d’amitié, en intensifiant le lien de la parole et de l’amour entre les personnes. La relation s’approfondit par le dialogue, ce dernier étant toujours une alternance et un échange d’écoute et de parole, de silence qui écoute et de parole qui se confie. Pour que le dialogue ne soit pas un échange superficiel d’idées et de pensées, il doit approfondir l’échange d’amour, à savoir l’attention du cœur et le don de soi-même à l’autre. C’est ainsi que la prière s’apprend de mieux en mieux, comme le demande le Pape, en approfondissant le colloque et l’échange d’amour avec Dieu. Cette méthode n’est pas une invention de l’homme, elle est dictée par la nature même de Dieu. Le Pape nous rappelle que, comme le souligne Saint Augustin, Dieu est Logos et Amor. Dieu est Parole et Amour, et pour cela, la relation avec Lui ne peut être qu’un colloque d’amour. La prière est un dialogue d’amour avec Dieu. A l’intérieur de ce dialogue, il y a de l’espace pour toute forme de prière : le silence, l’écoute, l’adoration, la supplication, la louange, la fête… La nature de Dieu dicte la nature de notre rapport avec Lui. Dans le Christ, Dieu s’est fait connaître par l’homme comme Logos et Amor totalement révélés et donnés. C’est pourquoi la prière chrétienne a une originalité insurmontable. Il ne peut y avoir de rapport plus étroit avec Dieu que la prière chrétienne, parce que Dieu, en Jésus Christ, s’est rendu totalement accessible à la capacité de relation que Lui-même a mise dans le cœur de chaque être humain. « La véritable grandeur de notre conception de Dieu », dit le Pape, c’est le Christ, le Logos divin qui « a un cœur, au point qu’il peut renoncer à son immensité et se faire chair ». Pour cette raison, la prière comme rapport d’amour avec Lui coïncide avec la grandeur du christianisme. Cela, le Saint Père le rappelle évidemment à nous, chrétiens, aussi pour nous secouer de la distraction et de la négligence avec laquelle nous vivons souvent notre foi. La superficialité dans la façon de vivre le christianisme se manifeste surtout dans le fait de négliger le trésor de la prière, du rapport personnel avec Dieu tel qu’il nous est offert gratuitement dans le Verbe incarné. La prière n’est pas seulement une pratique en fonction d’autres choses, une solution de repli et d’urgence pour faire intervenir Dieu là où l’homme se sent impuissant. La prière est le cœur et le centre de l’expérience chrétienne. Sans ce cœur, toute l’expérience chrétienne devient futile, vide de sens et de substance, et tous les problèmes surgissant dans la communauté chrétienne, même s’ils sont réels, même s’ils sont graves, sont alors affrontés avec superficialité. « Cette relation intime avec Dieu, – nous rappelle encore le Pape – et donc l’expérience de la présence de Dieu, est ce qui fait toujours à nouveau, pour ainsi dire, ressentir la grandeur du christianisme et nous aide ensuite également à traverser toutes les particularités à travers lesquelles il doit certainement être vécu ensuite, et – jour après jour, en souffrant et en aimant, dans la joie et dans la peine – être réalisé. » (Discours de clôture). La vie des communautés, la liturgie, l’éducation chrétienne, tout nous est donné afin que la rencontre avec le Christ devienne expérience de vie. Le Concile nous a rappelé que la nature même de l’Eglise est d’être « le sacrement, à savoir le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium, 1). Ainsi, si l’expérience de l’union intime avec Dieu ne devient pas personnelle, à savoir une expérience du cœur, c’est comme si la vie ecclésiale d’une personne ou de toute une communauté se vidait de sa signification et devenait stérile. Contre cette superficialité, le Pape demande alors un travail. Il le demande d’abord aux pasteurs, afin que les fidèles puissent les suivre et devenir à leur tour les témoins d’une expérience de Dieu toujours possible : « C’est pourquoi un devoir fondamental de la pastorale est d’enseigner à prier et de l’apprendre personnellement toujours plus. Il existe aujourd’hui des écoles de prière, des groupes de prière ; on voit que les personnes le désirent. De nombreuses personnes recherchent la méditation ailleurs, car elles pensent ne pas pouvoir trouver dans le christianisme la dimension spirituelle. Nous devons à nouveau leur montrer que cette dimension spirituelle non seulement existe, mais qu’elle est la source de tout » (Discours de clôture). Le Pape parle d’apprendre et d’enseigner, de soigner et de montrer l’expérience du rapport personnel avec Dieu et cela l’amène à parler d’« écoles de prière ». Si la prière est une dimension oubliée et négligée, nous avons besoin d’être éduqués, rééduqués à cette dimension. C’est un besoin que les gens perçoivent et expriment comme ils peuvent, mais qui souvent ne trouve pas dans l’Eglise l’aide et la réponse adéquates. Dès lors, il est nécessaire que la relation vivante avec Dieu puisse être à nouveau « rencontrée » dans des personnes et des communautés, dans des lieux et des temps, car l’expérience se communique si, d’une façon ou d’une autre, elle nous touche et si nous-mêmes pouvons entrer en elle. « Dans ce but – propose Benoît XVI – nous devons multiplier ces écoles de prière, de la prière commune, où l’on peut apprendre la prière personnelle dans toutes ses dimensions : comme une écoute silencieuse de Dieu, comme une écoute qui pénètre dans Sa Parole, pénètre dans Son silence, sonde son action dans l’histoire et dans ma personne ; comprendre également son langage dans ma vie, puis apprendre à répondre en priant à travers les grandes prières des Psaumes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Nous-mêmes ne possédons pas les paroles pour Dieu, mais des paroles nous ont été données : l’Esprit Saint lui-même a déjà formulé des paroles de prière pour nous ; nous pouvons y pénétrer, prier avec elles et ainsi, apprendre ensuite également la prière personnelle, ‘apprendre’ Dieu toujours plus et devenir ainsi sûrs de Lui, même s’il se tait – devenir joyeux en Dieu. » (Discours de clôture) Une école par ailleurs est déjà en fonction depuis toujours : l’école de la Liturgie. Si l’on vivait la liturgie pour apprendre à prier, combien d’abus liturgiques s’évanouiraient d’un coup ! En effet, elle serait vécue avec l’humble attention du désir d’apprendre, d’écouter, de demander, de suivre l’Eglise qui, depuis deux millénaires, prend ses fils et ses filles par la main et dans ses bras pour leur enseigner à dialoguer avec Dieu qui est Parole et Amour. On découvrirait alors que l’on n’apprend que de la beauté et de la vérité. Oui, la liturgie est « école, précisément, de prière, dans laquelle le Seigneur lui-même nous enseigne à prier, dans laquelle nous prions avec l’Eglise, que ce soit dans la célébration simple et humble avec quelques fidèles uniquement, ou aussi dans la fête de la foi. » (Discours de clôture) Pour un christianisme heureux : l’espérance Certes, un tel « système scolaire », adéquat et suffisant, on ne l’improvise pas, mais le Saint Père nous aide au moins à comprendre qu’il est une priorité, que toutes les autres interventions pour renouveler un tissu chrétien, c’est-à-dire pleinement humain, dans la société actuelle, ne peuvent être qu’une conséquence de ce travail « d’irrigation » spirituelle. Parce que c’est à partir de là que renaît un christianisme heureux, d’hommes et de femmes « heureux en Dieu », et non pas mécontents de tout et de tous, revendicateurs sans rien proposer, stériles dans la transmission au monde de la grandeur et de la beauté de la rencontre avec le Christ. Dans ces discours, on perçoit avec netteté que ce que Benoît XVI a offert aux évêques suisses n’est rien d’autre qu’un témoignage personnel, fruit de l’expérience de toute une vie consacrée à aimer le Christ et son Eglise. On comprend ainsi, en lisant ses discours, quel est le secret de la joie et de la paix avec lesquelles le Saint Père conduit la barque de l’Eglise d’aujourd’hui, au milieu de flots et d’écueils qui devraient l’épouvanter et lui donner la tentation de fuir. Au contraire, Pierre aujourd’hui, comme il y a deux mille ans, se laisse rejoindre par la voix chaleureuse du Seigneur : « Courage, c’est moi, n’ayez pas peur » (Mt 14,27) ; et c’est comme s’il témoignait pour nous que c’est justement dans la prière que cette voix le rejoint, pour la paix et la joie de son cœur et le réconfort de ses frères évêques et de tout le peuple. Mais le vrai nom de cette joie est l’espérance. Le Pape nous le rappelle en se référant à Saint Thomas d’Aquin, qui « identifie, pour ainsi dire, l’espérance à la prière. […] La prière est une espérance en cours. Et, de fait, dans la prière est contenue la véritable raison en vertu de laquelle il est possible d’espérer : nous pouvons entrer en contact avec le Seigneur du monde, Il nous écoute et nous pouvons L’écouter. […] La chose véritablement grande dans le christianisme, qui ne dispense pas des petites choses quotidiennes, mais qui ne doit pas non plus être recouverte par elles, est de pouvoir entrer en contact avec Dieu. » (Discours de clôture). Le fruit de la prière qui rencontre vraiment le Seigneur du monde est l’homme qui vit en espérant. L’espérance est la vertu qui change tout, parce qu’elle change l’attitude du cœur par rapport à tout. Le fruit de la prière est l’homme qui vit dans la confiance en Dieu parce qu’il est certain de l’amitié de Dieu. Cette conversion du cœur à l’espérance change tout, puisque l’espérance confie toute chose au Tout-Puissant. Pensons encore une fois à la parabole du banquet commentée par le Pape dans l’homélie aux évêques suisses. Qu’est-ce qui a changé dans la vie des pauvres, des estropiés, des aveugles et des boiteux qui ont accepté l’invitation au banquet ? Apparemment, rien. A la fin du banquet, à part le fait qu’ils ont pour une fois mangé à leur faim, ils sont revenus à leur vie, pauvres, estropiés, aveugles et boiteux comme ils l’étaient avant d’y aller. Mais ils ont accueilli l’amitié du Seigneur, et c’est en tant que ses amis qu’ils ont pu continuer leur vie ordinaire pourtant misérable. Cela n’a rien changé, et pourtant, cela a tout changé. Ils ont pu vivre avec une conscience nouvelle d’eux-mêmes et de leur misère, avec la conscience d’être aimés et d’avoir une valeur aux yeux du Seigneur qui les avait invités et avait mangé, bu et conversé avec eux. Leurs misères et difficultés devenaient ainsi, paradoxalement, une mise en relief de son amour, un soulignement de son amitié. Pour eux, affirmer que le Seigneur était un ami, la personne la plus chère au monde, était une évidence et une expérience permanente du cœur ne trouvant ni en eux-mêmes, ni dans les autres, aucune possibilité de contestation ou de doute. La mission évangélisatrice de l’Eglise passe à travers des personnes comme celles-là, des personnes dont la joie est le rapport personnel avec le Christ. Peu importe si elles sont misérables et pécheresses comme Zachée, comme la Samaritaine ou les Apôtres eux-mêmes. Ce qui compte ce n’est pas d’être les meilleurs, mais des hommes et des femmes touchés par l’amitié avec le Christ, et qui, pour reprendre une phrase de Saint Benoît chère au Pape, cherchent à ne « rien préférer à l’amour du Christ » (Règle 4,21). A savoir, des personnes pour lesquelles l’amitié de Jésus est tout. Saint Pierre a renié Jésus, mais pas un seul instant son cœur n’a pu mépriser l’amitié du Christ. Aujourd’hui, Pierre nous a parlé à nouveau, et, au fond, il n’a fait que répercuter l’unique exigence que le Ressuscité lui a imposée pour être un pasteur digne de Lui et fécond pour l’humanité : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » (Jn 21,15). La prière est le désir de répondre toujours « oui » à cette demande du Seigneur. |